vendredi 5 octobre 2012

Vases communicants - Octobre 2012 - "Partie civile", par Poivert.


Dans le cadre des vases communicants d'octobre 2012
"Ne pas écrire pour, mais écrire chez l'autre"
Lien et rendez-vous ici ou ici.



Ce mois ci : 
Poivert - "Partie civile".

Twitter : @PoivertGBF
Thème de l'échange :
Un journal. Le Monde. Une date. Le mercredi 19 septembre 2012. Le décortiquer, au sens figuré ou au sens littéral. S’attacher au détail ou à l’ensemble. En faire son journal.
*
* * 

PARTIE CIVILE

7h00 du matin. Une lueur pâle traverse les rideaux de la chambre. Elle se tient au pied de son
lit. Debout. Danse légèrement d’un pied sur l’autre. Lisse son pantalon, ajuste son chemisier.
Porte ses mains à son visage, le masse doucement, puis se rassoit sur le lit. Bras croisés. Dos
courbé. La tête dans ses mains. Elle attrape la brosse sur la couette, se redresse et commence à
brosser ses cheveux. Sans miroir.

Elle les brosse machinalement. Méticuleusement. Assise sur ce grand lit qui se cogne aux
murs. Le regard dans le vague. Aucune perspective. Des cartes postales défraîchies au-dessus
d’un petit bureau d’adolescente. Fleurs. Chats. Bébés. Tout est propre. A sa place. Personne
ne peut l’atteindre dans cette pièce. C’est chez elle. Personne d’autre n’entre ici. Personne
n’en a le droit. 10 ans déjà. Entre ces quatre murs. Sort peu. Avec sa mère. Toujours. Courses.
Médecin. C’est tout. Trop peur.

Elle coiffe ses cheveux, les démêle longuement. Le mouvement de la brosse. Ses muscles se
tendent. Ne pas se concentrer sur ces muscles. Les oublier. Ne pas voir le mouvement répétitif
de la brosse. Ne pas penser à. Oublier que. Se concentrer. Ne pas faire attention à la bile qui
remonte le long de sa gorge. Oublier qu’elle est assise sur son lit. Oublier le contact de son
lit sur son sexe. Oublier qu’elle en a un. Qu’il a subi tout ça. Oublier. Jusqu’à toute à l’heure.
Alors les regarder. Là. Tous. Les bourreaux. Les regarder. Victorieuse. Gagner. Enfin. Marre
de perdre. Toujours plus. Son corps. Sa dignité. Sa jeunesse. Alors gagner. Se dresser. Fragile.
Face à eux. Les menacer. Et obtenir gain de cause. La souffrance enfin reconnue. Et puis
oublier vraiment. Enfin.

Elle lisse ses cheveux du plat de la main, regarde vers les rideaux. Ils sont là. Elle les sent.
Tout près. Invisibles, mais attentifs. Comme au début. Quand ça a commencé. Les regards en
coin, les murmures sur son passage, les invectives. La réputation. Mauvaise. Toujours plus.
Jusqu’à trop tard. Et puis ça. Interminable. Les jours. Les mois. Les années. N’en finissait
plus. Se sont lassés. Sont passés à d’autres. Mais elle non. N’a pas pu. Passer à autre chose.
Est restée ici. Dans cette chambre. A les écouter. Eux. Leurs familles. Leurs amis. Et même
ceux qui n’ont rien à voir avec tout ça. Dans les appartements au-dessus au-dessous à droite à
gauche. Le soir, ils rient, agglutinés sous le réverbère. Sous sa fenêtre. Ils savent qu’elle est là.
Derrière le rideau. A les épier. A les craindre. Encore et toujours. Mais ils s’en foutent. Il faut
dire. Depuis le temps. De l’eau a coulé sous les ponts. Pour eux.

Alors, quand les arrestations se sont succédées comme des rafales, stupéfaits, qu’ils étaient,
de se retrouver menottes aux poignets. Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? La voix. Le regard
de l’innocence. Derrière son rideau, elle les a vus partir, ceux de son immeuble. Entre deux
agents. Elle a vu les mères aussi. Les sœurs. Les frères. Les pères. Lever le poing vers sa
fenêtre. La maudire. Depuis, un silence étrange règne sur la cité. Aux abords de sa fenêtre,
un no man’s land. Les bruits s’estompent. Chacun se fait discret. Au cas où elle se souvienne
d’autre chose. Tous les bourreaux n’ont pas été inquiétés. Trop nombreux. Les visages
les corps se confondent. Se rappelle juste son ventre cuisant. Souffrant. Puis insensible.
Absente à elle-même. Revenue petit à petit quand ça a cessé. Lentement. Autant d’années
passées à revenir que d’années à partir. De ce temps-là, se souvient juste des caves. Le
noir. L’impression de n’être plus qu’une marionnette sans vie. Et puis leurs rires. Leurs
imprécations. Leurs cris de sauvage jouissance.

Elle pose sa brosse. Les rideaux sont bien tirés, elle n’a plus qu’à ouvrir la porte, à rejoindre
sa mère et le policier qui l’attendent au salon. Ce matin. Tout se ramène à ça. Passer le pas
de la porte. Sortir de sa chambre. Ou pas. Son pied touche la bordure métallique. Se déplace
lentement, glisse sur la moquette, puis sur le carrelage du couloir. Elle sort.



*
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Mais, diront certains, qu’est-ce que ces "vases communicants" ?
Ils sont définis ainsi sur l’onglet A propos du groupe facebook qui leur est dédié :
"Tiers Livre (http://www.tierslivre.net/)et Scriptopolis (http://www.scriptopolis.fr/)sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."

Vous souhaitez participer ? Inscrivez-vous au groupe, et faites-vous connaître.
Par ailleurs, le blog Le rendez-vous des vases recense, mois par mois, sous l'égide de Brigitte Célerier, la liste des blogs participants. Vous y trouverez donc la liste des vases pour octobre 2012.

vendredi 7 septembre 2012

Vases communicants - Septembre 2012 - "Alors, punk ou pas punk ?!", par Euonimus.


Dans le cadre des vases communicants de septembre 2012
"Ne pas écrire pour, mais écrire chez l'autre"
Lien et rendez-vous ici ou ici.


EUONIMUS:

"Alors, punk ou pas punk ?!"

Twitter: @euonimus
Thème de cet échange: Le corps.




« Alors, punk ou pas punk ?! »



Je m’enfonce dans le fauteuil du salon de mes hôtes… Dans ce salon-confort de cette maison d’écluse.
Nous sommes bien, il fait chaud. De cette chaleur des moments si profondément humains, de ceux que l’on ressent comme tels, dans un mélange d’exaltation et de bien être. Je veux croire que cela aussi fait partie du sublime de Kant, quand bien même le sentiment est profondément enraciné dans l’immanence… Les nouvelles rencontres m’entourent, m’enrobent, et l’alcool nous évapore. Je m’enfonce dans ce fauteuil.
Les dialogues fusent tout autour, les bouches s’agitent et meuvent les corps.

La semaine dernière, je me trouvais sous le soleil du sud, sous une brûlure de canicule, les poumons pleins d’air chaud et de moiteur d’humain. La semaine dernière, mes jambes nues se croisaient timidement, sous  ma robe légère, la peau colée à la chaise-paille d’une terrasse. Mon corps restait droit, fier, et les mouvements se faisaient lents, en raison de la chaleur, en raison du contexte, mais aussi, à vrai dire, pour que mes talons se posent bien et que mes cuisses ne se collent pas en se croisant.

Je m’enfonce dans ce fauteuil.  Je sais que mon corps change. Je m’y sens moins à l’étroit, j’enfle dedans. Le jean que je ne portais plus. Des baskets de deux tailles trop grandes, les chaussettes qui bavent sur mes chevilles-montagnes. Le vin nous partage. Je grandis. Mes épaules s’expandent. Mes muscles se dessinent. Ma voix plus rauque. Un accent d’ici. Un accent nouveau. Un accent de mon ventre. Je ne suis plus une femme, je deviens une personne… Amitié ronde… La fumée danse autour de nous, et encore les lèvres s’agitent. L’herbe que je ne fumais pas. La gnôle comme le pain, rompue au creux des mains… La gnôle brûlante qui glisse entre les cotes… Mes hôtes n’en sont plus. Nous habitons  la maison, nous habitons l’écluse, nous habitons l’espace. Les lèvres envolent les mots.

*
* *
Le matin… Ce matin… les souvenirs m’évaporent… J’ai malaxé du poulet, hier,  dit-on, j’ai malaxé du poulet en regardant mes trois acolytes de soirée  avec les yeux vitreux et la détermination d’une psychopathe exaltée… Affalée dans ce fauteuil et les deux  pâtes de mon jean écartées comme un  cowboy, comme un « bonhomme », dit-on…

- « Je t’ai dis de te laver les mains, mais tu as répondu « non, on s’en fout ! » et essuyé la graisse de poulet malaxé sur toi, sur tes cheveux, sur ton pull, en gonflant la poitrine. »
« Tu m’as fait honte. »

Je baisse la couette, incrédule,  regarde mon pull blanc, fin. Auréoles rouges de la Bourgogne, Auréoles…  Non pour m’essuyer les mains. Oui pour me couper les cheveux. « Allez, on s’en fout ! » J’écoute les narrations en rétrécissant. Je fouille ma mémoire…
Quelques bribes reviennent…
Je me souviens d’un moi, vachement plus grand et costaud, qui racontait les détails techniques de la difficulté d’une fille à faire pipi entre les voitures lorsque aucun lieu ne l’accueille, qui racontait comment j’allais essayer de faire pipi debout, comme un homme, pour remédier à ça, à l’image de cette punkette que connaît mon ami, et raconté aussi les détails techniques envisagés selon que je porte une jupe ou un jean…  Je me souviens des regards ébahis de mes interlocuteurs…
Je fouille dans ma mémoire… Les narrations continuent.

- « J’ai dit « Ma femme est Punk », et tu répondais « non, j’suis pas punk !!! » Mais… »

Regard consterné

- « Tout le monde l’a dit,  même si tu veux pas, c’est voté, à l’unanimité… Tu es punk ! »

Les narrations déroulent la journée, et le ton de reproche –« tu m’as fait honte »- ne dure que quelques minutes, devient très vite rieur, taquin, et comme empli de la joie d’une fierté paradoxale… Les narrations rient la journée… Sous un parfum d’absynthe… La musique nous évapore, la musique nous rêve, et le refrain s’installe. En chœurs :  « Alors ? Punk, ou pas punk ?! »

*
* *
Ces souvenirs se sont évaporés trop haut pour que je puisse les saisir… Mais je me souviens l’air frais cette nuit nivernaise, les toilettes buissons derrière la maison, bien plus tendres que ceux de la maison. Le jean que je ne portais plus, et  la place soudaine à l’intérieur de mon corps. Je pense aux rires de mes hôtes, à la poésie de cette maison éclusière… L’écluse bleue…

Je me dis que nos corps changent souvent, à mieux y réfléchir. Je pense que c’est en fonction de la densité de l’air qui nous entoure. La pression n’est pas la même, les mouvements possibles non plus. Il doit y avoir moins de chemins possibles dans l’air, lorsque la vie sociale y tisse sa toile étroitement codée. Moins de chemins possibles pour que les pâtes des jeans de femme  puissent s’étendre sans avoir peur de ne plus se croiser, moins de place aussi pour que les épaules puissent s’expandre et se muscler, pour que l’on puisse grandir et gonfler une poitrine soudainement asexuée. Sans compter les normes sociales que fabriquent les industries du textile et de la chaussure…

Quant au poulet et héritage vinicole.. Bon, ça, c’est une autre histoire…

« Alors, punk ou pas punk ? »




Que sont les vases communicants? 


Emprunté à Pierre Ménard:  

          « François Bon Tiers Livre et Jérôme Denis Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants (au départ cela s’appelait le Grand dérangement, pas peu fier d’avoir trouvé ce titre de vases communicants) : Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.Beau programme qui a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites, ainsi qu’entre Fenêtres / open space d’Anne Savelli et LiminaireSi vous êtes tentés par l’aventure, faîtes le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants, que chacun puisse relayer les autres... »
Liste des vases communicants de septembre: 

Allerarome http://revelittoral.blogspot.fr/ et Xavier Fisselier http://xavierfisselier.wordpress.com/ 



Christophe Sanchez http://www.fut-il.net/ et Jean-Marc Undriener http://www.fibrillations.net/
collectif Claude Favre dans le jardin sauvage d'Ana NB http://sauvageana.blogspot.com / et chez G@rp http://lasuitesouspeu.net
Isabelle Pariente-Butterlin http://www.auxbordsdesmondes.fr/ et l'écureuil du nethttp://lecureuildunet712.wordpress.com/
Hélène Verdier http://louisevs.blog.lemonde.fr/ et Dominique Autrou http://dom-a.blogspot.fr/
Anne-Charlotte Chéron http://feenmarges.blogspot.fr/ et François Bonneauhttp://irregulier.blogspot.fr/
Juliette Mézenc http://www.motmaquis.net / et Virginie Gautier http://vg-ecriture.blogspot.fr/
Mathilde Roux http://www.mathilderoux.fr / et un promeneur http://2yeux.blog.lemonde.fr/
André Rougier http://andrelbn.wordpress.com / et Christophe Grossi http://kwakizbak.over-blog.com/
Christine Zottele http://etsanciel.eklablog.com et Brigitte Célérier http://brigetoun.blogspot.com
eric dubois http://ericdubois.net  et jerome fandor http://archeos.blogspot.com

mercredi 14 mars 2012

Mémo interne.

J'ai le plaisir de vous annoncer que depuis le dernier comité de pilotage, nous n'avons plus enregistré le moindre accident d'ascenseur.