dimanche 13 juillet 2008

Alcool & créativité

On dit souvent que l'usage d'alcool ou de drogues stimule et décuple la créativité. On pourrait penser que je suis mal placé pour m'exprimer sur le sujet, ayant une créativité proche du zéro absolu. Mais l'alcool par contre, je connais bien.

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Personnellement, je crois que je n'écris pas une ligne de texte sans apercevoir un verre dans mon champs de vision, coincé entre le stylo, le carnet et les feuilles imprimées. Mais ça ne signifie pas que l'alcool est nécessaire à la création : ça ne diffère pas du reste, et l'alcool m'est nécessaire tout court, je suis incapable de faire quoi que ce soit sans en avoir au préalable ingurgité une certaine quantité.

Je ne peux pas travailler sans alcool, je ne peux pas m'amuser sans alcool, je ne peux pas réfléchir, séduire, baiser, supporter, croire, penser, être, sembler, sans ma dose.

Difficile, du coup, de savoir si l'alcool stimule ou non l'intellect et la créativité. Si j'en avais la preuve, je plongerais volontiers encore plus profond au sein de ce délicieux piège, ce serait si commode d'avoir une justification valable au yeux d'autrui pour me détruire à petit feu, m'effacer dans cette passion, me supprimer avec délectation, plaisir au coin des lèvres, gout agréable au fond de la gorge, air de connaisseur tatoué au visage, genre "je savoure". Oh oui, je la savoure, ma mort. "Regardez, je me suicide, c'est pour mon Oeuvre".

Sauf que. Plus je bois, plus j'écris, plus je bois en écrivant, plus j'écris pour boire, plus je bois pour croire que je vais écrire ou pour oublier que je n'écris pas, et plus je me rend compte que, dans ce domaine encore plus que dans tout autre, l'alcool ne me sert à rien. A quoi bon chercher une justification, à quoi bon vouloir lui donner une utilité, vouloir en tirer un quelconque bénéfice ? Je suis son esclave, et ainsi tout est dit.

Je ne peux pas savoir ce que j'écris, non alcoolisé. Il faudrait retrouver mes dissertations de collégien, pour ça. Mais je sais comment j'écris, trop alcoolisé. Impossible de se fixer sur un plan pré-établi. Impossible d'arriver à se souvenir des mots "sur le bout de la langue", se montrant de plus en plus nombreux. Répétitions infinis et lourdeurs proches du discours d'un pilier de comptoir. Ecriture indéchiffrable... Les ratures deviennent rageuses, déchirent le papier et donnent encore plus soif. Des flashs d'euphories m'agressent lorsque je crois avoir accouché d'une phrase infiniment belle et poétique, alors qu'elle se révèle n'avoir strictement aucun sens à la lueur de la presque-sobriété.

Non, l'alcool n'aide en rien, ne stimule en rien la créativité, la mienne, en tout cas. Même le premier jet, même l'écriture libre ou intuitive se révèle médiocre, accompagnée de trop de cette eau-de-survie.

Mais je ne peux pas faire autrement. Ma gorge, mes tripes, mon âme m'imposent de me resservir encore. Je bois pour savoir écrire, je n'y arrive pas, ça me donne soif, je rebois, je n'y arrive plus, et plus les verres s'enfilent, moins les pages sont épaisses. Boire m'empêche d'écrire mais m'aide à comprendre que tout est à refaire, que tout est mauvais, nul, ce n'est plus un embryon de nouvelle sous mes yeux, c'est un régiment, une armée d'immondes lignes, de phrases dégoutantes, de lettres balafrées, chaque mot ressemble à un porc, au regard lubrique et au sourire imbécile et suffisant. Ils se regroupent et font la guerre pour détruire mon histoire comme on viole une civile, pour briser ma création comme on brule un village.

C'est ainsi. L'alcool ne m'aidera pas mais m'est nécessaire, vital, indispensable. Tout est une question de dosage. En prendre assez pour faire taire ses appels incessants, et pouvoir ainsi me consacrer entièrement à mon art, mais réussir à me limiter pour ne pas tomber dans les sables mouvants de la nullité et du découragement.

Tout en sachant que si je dois faire un choix un jour, trancher entre écrire ou boire, je sais dors et déjà de quel côté je me tournerais, sans hésitation aucune. Je peux faire semblant d'écrire, je peux me persuader qu'en réalité, je continue. Pour la boisson, en revanche, cela fait déjà longtemps que je sais que je ne peux plus m'illusionner plus avant...