D’aucun disent que le mariage est le plus beau jour de leur vie. Personnellement, je trouvais ça très long, j’avais trop bu, et je trouvais que c’était beaucoup de choses à endurer (la belle famille, les discours stupides, les danses ridicules…) juste pour s’intégrer au mieux dans la vie. Madame-Oui m’avait extrêmement vexé en répondant « oui » une fois encore à la question « tu t’ennuies autant que moi ? », et j’étais d’humeur particulièrement maussade, observant d’un mauvais œil la foule d’invités inconnus qui ne voulait pas se décider à partir.
J’imaginais de façon de plus en plus glauque le déroulement de la nuit de noce qui approchait d’heure en heure, me resservant un whisky sec, lorsque je remarquai que Dean m’observait fixement.
Je pensais des banalités comme « qui c’est » et « qu’est ce qu’il me veut ? » avant de faire l’erreur fatale de plonger mes yeux dans les siens. Je fus paralysé. Combien de fois, par la suite, me suis-je dit « ne le regarde pas, ne le regarde surtout pas » avant de me jeter, vaincu, dans ses yeux de toute mon âme…
Cet échange silencieux dura de longues secondes. Puis il me sourit, et s’approcha doucement de moi. « Je ne sais pas pourquoi tu te marries, mon jeune ami, mais je t’observe depuis un bon nombre de minutes, et j’en ai déduis que, de toute façon, tu devais te marier. » Il parlait comme ça, Dean. « Comment ça ? » demandais-je faiblement, groggy par son regard et l’éprouvante journée. « Ah, que le diable m’emporte si je le sais, je n’en sais rien encore. Mais ton destin te commandait de te marier, et nous découvrirons bien pourquoi ! La vie est parsemée tantôt d’épreuves, tantôt d’étapes, et le mariage, pour toi, je le ressens, devait être une étape obligatoire ! »
« Sûrement… » Acquiesçais-je, car j’avais quelque chose d’un « Monsieur-Oui », moi aussi… « Une étape, te dis-je. Quoi que rien ne t’oblige à en faire une épreuve ! »
Moi, personnellement, je n’avais jamais considéré le mariage comme une épreuve, si ce n’est celle, bien agaçante, du jour J. En dehors de ça, la vie de couple avec Marie-Claire me donnait entière satisfaction, et je m’étais jusque là plutôt considéré comme gagnant au change. C’est pour cela que je me contentais de répondre : « Oh, ça ne risque pas, je suis parfaitement heureux en ménage ! »
Dean eut un éclat de rire ravageur, le genre de rire puissant, bruyant, parfaitement déplacé ici, et pourtant touchant de sincérité, à tel point qu’il se révéla communicatif, sans que je ne comprenne réellement pourquoi. Cela me fit un bien terrible, d’ailleurs, de me laisser aller ainsi, et je me sentis soudainement fort détendu, bien qu’à moitié vexé du fait qu’il ait pu – que nous ayons pu – nous esclaffer ainsi de ma situation matrimoniale.
« Quoi… ? » demandais-je, souriant, incapable de développer plus avant la chose. « Rien, mon ami, rien, mais la vie est ainsi faite, les ménages sont tous heureux, avant le mariage, c’est une loi naturelle ! C’est après, ah ah, c’est après que les choses se compliquent, en règle générale ! »
Je le trouvais bizarre, mais sympathique, attirant. A ma grande surprise, je me vis lui répondre avec une franchise qui ne m’était pas familière : « Oh, pas de danger, je n’ai pas épousé une mégère en puissance, loin de la… Elle a autant de personnalité qu’un poisson rouge sous anti-dépresseurs ! »
Il rit à nouveau, savourant ma répartie comme si c’était le bon mot le plus subtil qu’il ait jamais entendu de son existence. Je m’en sentais confusément flatté. Puis son hilarité cessa brusquement, et il me souffla, d’une voix suintante de nostalgie : « Tu tournes le dos à ton destin… »
Le silence s’installa quelques minutes. C’était probablement une phrase un peu stupide, ridicule et vide de sens. Pourtant, sous l’effet de l’alcool, de la fatigue, et de son étonnant charisme, je la méditais sombrement, la tournais et retournais dans ma tête, avec le plus grand sérieux, une impression douloureuse de faiblesse, de honte et de résignation me collant au cœur.
« Je voudrais te faire une proposition, Pete. Pete, c’est bien ça ? » me demanda-t-il tout d’un coup. « Moi, c’est Dean. »
« C’est comme ça que m’appellent mes amis, oui… » lui confirmais-je.
« Alors ce sera Pete. Je voudrais te faire une proposition… » répéta-t-il. J’attendais la suite, sans rien dire, l’anxiété au creux du ventre.
« Je pars bientôt pour un "trip" dans toute l’Europe. Barcelone. Bruxelles. Amsterdam. Partout, je ne sais pas encore dans quel sens. Peut-être en train. Peut-être en stop. J’aimerais, oui, j’aimerais fortement que tu m’accompagnes. En tout bien tout honneur, bien entendu, juste pour que tu vois. La vie. Ce qu’elle peut être. La diversité, des gens, des paysages. Oh, je connais par avance ta réponse. Mais… »
Et c’est la qu’il me fixa à nouveau, yeux dans les yeux, poignardant sans scrupules mon âme déjà bien affaiblie. « … Mais, et c’est écrit en gras dans les tablettes antiques de ta destinée » conclut-il sans cesser de me fixer, « tu ne te contenteras pas longtemps de l’enfermement dans une cage dorée. »
Il disparut comme il était apparu. « Dean » m’avait-il dit. Dean… Des jours durant, la métaphore de la cage dorée n’eut de cesse d’obséder mon esprit, tout comme la vision de la flamme étrange qui animait son regard. Le souvenir de Dean restait gravé en moi, sorte de persistance rétinienne impossible à ignorer.
Puis, le temps aidant, cela passa, pour tomber petit à petit dans les profondeurs de l’oubli. La vie, la routine, et la certitude triste de ne jamais le revoir. J’oubliais… Mais en surface, en surface seulement.
Et un jour, contre toute attente, Dean ré-apparut.
4 commentaires:
Et c'était devenu une femme ?
(non j'aime bien en fait mais je trouvais pas de commentaire plus drôle)
Putain, t'as tout niqué mon suspens... :'(
C'EST QUI C'EST QUIIII DIIIIINE ?
SAY TA SOEUUUUUUUUUUUUUUR :D
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