Des gens arrivent encore dans cet appartement d’une trentaine de mètre – carré, les bras remplis de packs de bières ou d’autres multiples sources de réjouissances. D’autres partent. Certains sont debout, un verre à la main, certains sont avachis sur le canapé ou sur l’un des coussins qui jonchent le sol. Quelques un chantent, la plupart rient, très fort. Dans un coin, une demoiselle pleure, en compagnie d’une amie à elle qui regarde son verre vide avec désespoir. L’ambiance est à la fête. Je crois…
Elle est arrivée il y a peu de temps, elle doit donc être sensiblement moins alcoolisée que la moyenne. Elle profite de la moindre occasion pour se rapprocher de moi, nos mains se frôlent quelquefois, elle ne cesse de sourire dès qu’elle sent que je la regarde. Elle-même a presque toujours les yeux posés sur moi.
Souvent, nous arrivons à n’être que deux, au milieu de cette multitude, d’anonymes pour moi et d’amis pour elle. Je tente alors du mieux que je peux d’être plus drôle et spirituel que d’habitude. Sans grand succès je crois, à cause de l’alcool. Elle se force à rire à la moindre de mes répliques pourtant, et pire que ça, reviens toujours vers moi aux moments où je me dis que cette fois, ça y est, elle s’est définitivement lassée de ma médiocre compagnie.
Elle me propose de partager un cocktail de son cru, secoue avec énergie le shaker, se penchant un peu plus que nécessaire, probablement pour me rendre abordable une contemplation plus profonde de l’intérieur de son décolleté, et des attributs si attractifs qu’il contient. Ou peut-être que l’alcool me donne des idées sur ses intentions et son comportement. Dans le doute, je contemple tout de même. Silencieusement.
Je n’y suis pas, cependant. Je suis gêné, parce que je suis ailleurs. Dans une multitude d’ailleurs.
Dans cet ailleurs au paysage plein de carreaux, celui ou l’on passe de ville en ville en tournant les pages. Le stylo brûle de rage et pleure mes infidélités, à moi qui préfère trinquer avec des inconnus plutôt que de répondre à ses appels, à ses bouffées d’inspiration.
Dans cet ailleurs là, aussi, où la Tour Eiffel scintille au milieu de la nuit et où la ville ne dort jamais, sauf sous des cartons et dans les couloirs du métro. Est-ce son côté pile ou son côté face qui m’appelle ?
Dans cet autre ailleurs, parfois monochrome et parfois insupportablement coloré, la où rien de ce que je perçois n’est réel, si ce n’est les voix que j’entend chuchoter de l’intérieur.
Dans le tout petit ailleurs qui prend pourtant tant de place, celui qui a perdu ses ailes et pour lequel je donnerai mon âme contre un éclat de rire, si seulement il en voulait.
Il y a aussi un ailleurs de bitume, celui de mon adolescence, peuplé de soldats et de mercenaires qui deviennent fous à force de faire leurs rondes au pied des mêmes tours de béton. C’est un ailleurs statique, et qui pourtant s’évertue à vouloir me rattraper.
Et puis, l’ailleurs du labyrinthe, plein de couloirs obscurs et de guichets gardés par des cerbères froids et agressifs, celui ou je suis un numéro. L’ailleurs dans lequel il faut supporter toutes les humiliations pour obtenir éventuellement le droit à la vie.
Et enfin, ce gigantesque ailleurs désertique et mort, un ailleurs infini, emplie de dunes à perte de vue. Ce sont des dunes d’ennuie, noyées sous un soleil de vide. Ici, l’oasis salutaire s’appelle Déprime, un oasis brumeux où le vent te murmure gentiment qu’il est temps, et qu’il y a des tas de moyens.
Je suis dans tous ces endroits à la fois, et toi tu me souris, tu t’évertues à te mettre en valeur, tu fais briller tes yeux. Sais tu seulement à quoi tu t’exposes ?
Ne vois-tu pas que tu es attirée par quelque chose de sombre, de creux, de malsain ? Tes pieds sont posés sur le rebord d’une falaise sans fond, et toi, naïve et inconsciente, tu restes là, à te donner en spectacle et à redemander un verre. Histoire de te sentir bien, juste avant de chuter.
Je dois partir, maintenant. Trouver un prétexte, ne pas poser les questions que tu attends. Oui, moi aussi, très heureux d’avoir fait ta connaissance. Mais non, rien d’autre. Je vois bien que tu attends, mais je me contente de me retourner vers la porte d’entrée, serrant des mains et lançant quelques plaisanteries en l’air avant de m’y engouffrer. Disparaître.
Dans quelques jours, tu auras oubliée jusqu’à mon existence. Moi, l’esprit vaporeux et alcoolisé, j’ai déjà oublié ton prénom. Adieu, tu ne méritais pas ça.
3 commentaires:
Les éclats de rire sont tous dans tes mains.
douloureusement beau ça...
Merci :]
Avec un peu de persévérance, j'arriverais peut-être à bien écrire XD
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