mardi 23 octobre 2007

Big Brother [3]...

"En cas de rupture, contacter le plus rapidement possible Sida Info Service."

Il pleut à torrents tout autour de moi, mais je suis protégé par les parois en verre de la cabine téléphonique dans laquelle je me suis réfugié. L'averse, subite et violente, ne semble pas vouloir s'arrêter. Ma main, s'enfonçant machinalement dans une de mes poches, entre accidentellement en contact avec le fameux préservatif ayant servi de cadeau d'adieu à mon ex-compagne. Je repense à l'étrange conseil inscrit au dos de l'emballage.

Après tout, pourquoi pas... Ça fera passer le temps, et je suis à l'endroit idéal pour téléphoner : ici, on ne pourras pas tracer mon appel.

Je décroche, insère ma carte dans la fente de l'appareil, puis compose le numéro inscrit sur cet objet qui ne me quitte plus. Une faible sonnerie malade consent enfin à cracher son agonie à l'intérieur du combiné. Un léger déclic se fait entendre. Un léger déclic se fait entendre... "Sida Info Service, bonjour !". Je raccroche.

L'espace d'un instant, sans trop savoir pourquoi, j'ai été littéralement pris de panique. Frisson le long de l'échine. Rythme cardiaque en trombe. Transpiration, vertiges.

Un moment, je me demande si je dois prendre au sérieux ce mauvais pressentiment. Puis je balaye cette idée de mon esprit. Ça ne m'a jamais posé que des problèmes, jusqu'ici, de suivre mes intuitions...

Le téléphone n'arrête pas de me hurler ses bips incessants, sa façon à lui de m'ordonner impérieusement de retirer ma carte de l'appareil. C'est toujours quand on veux que je me retire qu'on fait le plus de bruit, décidément. Qu'à cela ne tienne. Je m'exécute, puis repars à la charge.

Encore une fois : sonnerie en phase terminale, léger déclic menaçant, et même voix que tout à l'heure, j'en mettrais ma main à couper... "Sida Info Service, bonjour !".

- "...
- ... Sida Info Service, BONJOUR !
- Heu. Bonjour.
- Que puis-je faire pour vous ?
- Heu... Je ne sais pas trop, probablement rien, mais y'avait écrit... Que...
- Oui ?
- Et bien, vous savez... "En cas de rupture"...
- Oh ! Bien sûr ! Sachez que les risques, bien que minimes, existent toutefois bel et bien, et qu'il serait imprudent de les prendre à la légère.
- ... Les risques ? Quels risques ?
- D'infection. Par le sida, ou une autre MST. Sachez que...
- Non mais, comment dire, nous nous sommes toujours protégés ! Enfin...
- Heu. Oui. Mais j'ai cru comprendre qu'il y avais eu rupture...
- Merci, je sais bien ! C'est précisément pour ça que je vous appelle.
- ... Et c'est pour ça que je vous parle des risques...
- Je ne vous suis pas tout à fait. Vous... Oh ! Bien sûr, vous... Heu... Voulez parler des capotes usagées ?
- Pardon ?!?
- Ce n'est arrivé qu'une ou deux fois, tout au plus, vous savez !
- Heu... Oui, alors heu, dans ce cas..."

Je raccroche à nouveau. Nouveau vent de panique, facilement maitrisé cette fois. Du sang froid, surtout, du sang froid. Comment, comment diable savait-il ? Comment était-il au courant ?

Ils savaient, ils savaient tout ! Je ne sais pas pourquoi. Mais on me surveille. Depuis longtemps, dirait-on. Et ils voulaient que je sache. Que je sois au courant de leur existence.

Je cherche en vain à repérer leurs éventuels espions, sur le chemin du retour. Il pleut toujours autant. J'emprunte des itinéraires détournés, ce qui est tout bonnement ridicule, puisque je rentre chez moi, et qu'ils doivent bien savoir ou c'est...

Ce préservatif n'était pas un cadeau. Non. C'était un piège, destiné à me faire passer ce coup de fil. Comme si c'était un signal, le coup d'envoi de... Quelque chose. Il me reste à savoir s'il vient bien de Nathalie, ou si ce n'était qu'une mise en scène visant à me le faire croire. Est-elle complice ou victime de ces mystérieux personnages ? Pourquoi moi, et pourquoi se découvrir maintenant ?

C'est relativement serein que je referme la porte de mon appartement. Je n'ai pas à avoir peur. Je trouverais les réponses à toutes mes questions, l'une après l'autre. Ils n'ont pas idée de ce que je peux faire.

Je m'installe sur mon vieux canapé, allume la télévision (un obscur jeu de questions réponses). Pour me détendre, je me sers une bonne rasade de whisky. Mon regard s'attarde sur l'avertissement au bas de l'étiquette. "L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération"...

vendredi 19 octobre 2007

Retour à Bordeaux.

Tout à changé. Des rues qui n'existaient pas, des terrains vagues qui n'existent plus, des commerces métamorphosés, des enseignes disparues, des coins qui craignent devenus vitrines de la ville... Seuls les gérants de la librairie / tabac de mon quartier sont restés les mêmes, et n'ont pas pris une ride. C'est louche !

Peut-être que ce sont des extra-terrestres préparant une future invasion de notre planète. Ils préparent probablement un gigantesque complexe souterrain, et ont choisis les sous-sols de ma cité. Choix logique et judicieux, il me semble. Quand je suis entré, le gérant m'as sourit, de la même manière qu'il faisait avant, petit sourire aimable, légèrement commercial, mais pas trop. Comme si j'étais venu la veille. J'ai demandé un paquet de tabac à rouler, il avait déjà un paquet de Marlboro en main. Ce que je fumais à l'époque. J'ai aussi demandé une recharge "Virgin Mobile". Il m'a regardé, l'air étonné. J'ai l'impression qu'il s'est retenu de dire : "Vous n'êtes plus chez Bouygues ?".

Je suis donc ressorti de là passablement effrayé, CHER JOURNAL, bien qu'effrayé, je l'étais déjà avant même d'y entrer. Mon quartier etait si différent, et si semblable à la fois. Mon bâtiment (MON bâtiment) était entouré d'une clôture (et pourquoi pas des barbelés, tant qu'ils y sont ?). Et mon bâtiment (l'autre, MON bâtiment, le deuxième), (suis, suis donc, cher Journal, sinon on s'en sort pas...) était plein de... Avait des portes munies de... Hum. De digicodes.

C'est que c'est le dernier, le DERNIER, des immeubles de ma cité à avoir été doté de digicodes. Je pensais qu'il serait épargné. Une sorte de résistant. Mais non. Il a des digicodes plein les entrées. et ses couloirs s'allument tous seuls au moindre mouvement. Tellement inutile. Comme si le luxe des halls d'entrées pouvait camoufler la misère de ceux qui les habitent. Enfin... Pratique, pour les tournantes.

La grande surface où j'ai fais mes classes a été remplacée par une sorte de clone de Leader Price au nom inconnu. Si ça se trouve, c'est un ancien caïd de ma classe qui tiens l'affaire. La semaine prochaine j'irai chiper un truc, voir un peu l'ambiance quand on s'fait attraper.

L'ambiance, elle, n'a pas changée. Résignation, fraternité, regards éteints, mobylettes trafiquées, provocations verbales, vie de village et vannes de fenêtres à fenêtres, gosses qui courent en riant, papis qui jouent aux boules, jeunes qui squattent leur banc heure après heure, jour après jour, et mon banc, ou il est mon banc, ils ont virés mon banc...

Ce quartier est empli à rabord de gaieté, d'humour, de vie est de complicité. De gaieté de façade, d'humour d'urgence, de vie factice, pour se convaincre que vie il y a, et de complicité calculée, pour survivre au sein de la masse. Ce quartier est comme moi. Mes parents, c'est ce quartier.

Nostalgie, culpabilité. Demain je choisirai le centre-ville touristique et commercial. La rue Sainte-Catherine, elle, j'en suis sûr, n'aura pas changé d'un poil.