vendredi 12 septembre 2008

Requête administrative.

 Monsieur le Maire,

 C’est triste, un enterrement. Moi, je ne veux pas qu’on m’enterre. Je ne veux pas de stèle, de pierres, de monument sinistre érigé dans le but d’immortaliser mon souvenir. Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi. Et pourquoi donc le devrait-on ?

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 Je ne me pose pas cette question sous l’impulsion d’un hypothétique complexe d’infériorité qui me pousserait à me rabaisser. Je ne la pose que par lucidité ; Je ne suis rien, comme chacun d’entre nous, rien qu’un léger sursaut d’imperfection dans l’immensité de la création. Espérer toucher du doigt l’immortalité en tentant d’imposer au monde une image de mon souvenir ne serait que vanité, inutile et méprisable. Une tombe pour chaque être humain, et après ? 

Pour chaque chien, pour chaque chat, pour chaque bactérie ? Vouloir bâtir un monument pour chacun de nos morts, ce n’est qu’une preuve de plus de la bassesse de notre espèce : nous sommes encore si peu civilisés que nous continuons à nous vautrer dans l’absurde illusion de trôner majestueusement au centre de l’univers. Nous nous complaisons dans cette idée rassurante d’importance, de supériorité de la race humaine, du caractère supposé unique et miraculeux de l’apparition de notre forme de vie soit disant si évoluée.

 Tout cela pour tenter piteusement de dissimuler le fait que nous sommes obsédés par l’idée de notre propre mort. Incapable que nous sommes d’appréhender notre disparition, nous construisons des tombes, pour cacher notre peur comme un enfant camoufle sa culotte sale sous son lit. Mais pauvres imbéciles, nous ne serons jamais immortels. Procréer ou construire des monuments aux morts n’y changera jamais rien.

 Non je ne veux pas qu’on m’enterre, car je sais ce que je suis. Une ébauche d’embryon de point de détail. Une minuscule cellule sale, invisible à l’œil nu. Si l’on pouvait observer l’univers de loin, l’humanité ne serait que la toute petite tâche de peinture qui gâche pourtant l’intégralité du tableau. Faites brûler ma chair, cramez ma vieille carcasse, au moins ainsi, je ne ferais plus partie de vous.

 Si cela pouvait être possible, j’aurais souhaité qu’on laisse mon cadavre pourrir et redevenir poussière à l’endroit où on l’a trouvé. Qu’on le laisse moisir au milieu de tous, posé là, comme un meuble. Qu’il fasse partie du paysage et vous rappelle ce que l’on est vraiment. Une sorte d’utilité post-mortem. Je sais cependant que ce vœu ne peut être exaucé. Alors dans ma mort, comme dans ma vie, j’accepterais de transiger, de faire, comme on dit, des concessions : Lorsque ma fin viendra, je vous en conjure, laissez donc son sens intact à ce si joli mot qu’est « disparaître ». Et s’il vous plait, s’il vous plait, incinérez-moi. Bien cordialement,…


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